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Cameroun: Alucam et ses tentatives des négociations en vue de sa privatisation

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Eagle Eye, société d’investissement enregistrée à Singapour, discute avec le gouvernement d’un éventuel rachat de l’entreprise d’État Alucam, en déficit chronique. La firme reste toutefois prudente à l’approche de l’élection présidentielle et face aux contraintes énergétiques et logistiques.

Dix ans après la sortie du géant minier anglo-australien Rio Tinto de son capital, la Compagnie camerounaise d’aluminium (Alucam), en difficulté financière structurelle, cherche encore à sortir de l’ornière. L’État camerounais, actionnaire à 93,3 % – le reste du capital étant détenu par l’Agence française de développement (AFD, 5,6 %) et la Société nationale d’investissement (SNI, 1,1 %) –, tente depuis plusieurs années de privatiser son actif stratégique de transformation d’alumine en aluminium, qu’il peine à maintenir en vie. Le dossier est bien suivi par le secrétaire général à la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, qui en réfère directement au chef de l’État, Paul Biya.

Des discussions préliminaires au sujet d’une privatisation sont en cours depuis plusieurs mois entre la présidence et la société d’investissement à capitaux singapouriens dirigée par l’Indien Pramod Prusty et basée à Dubaï, Eagle Eye Asset Holdings, connu également sous le nom de Fortuna Holdings. Ce family office, qui a notamment pour investisseur le tycoon indien et directeur d’Arise IIP, Gagan Gupta, connaît bien le Cameroun. Eagle Eye a en effet réalisé, en 2023, un investissement stratégique de 38 millions de dollars auprès de l’opérateur minier australien Canyon Ressources.

Une filiale de ce dernier, Camalco, a signé en juillet 2024 un accord de 2 milliards de dollars avec le gouvernement camerounais. Elle a obtenu l’exploitation pour une durée de vingt ans du gisement de bauxite du projet de Minim-Martap, dans l’Adamaoua, qui doit commencer courant cette année 2025. Ambitieux, Canyon Ressources, qui vient d’annoncer la nomination d’un nouveau PDG, Peter Secker, censé entrer en fonction au mois de juillet prochain, projette d’extraire 5 milliards de tonnes par an.

Carences en infrastructures

Le 4 février, Canyon Ressources a révélé avoir obtenu le feu vert du gouvernement camerounais pour la construction d’une plateforme logistique ferroviaire près de Ngouandéré, chef-lieu de l’Adamaoua, en vue d’exporter la bauxite via Douala. Quelques semaines plus tôt, Eagle Eye avait réussi à mobiliser 125 millions de dollars pour l’achat de matériel roulant au profit de la firme australienne. L’entreprise, rachetée depuis 2021 par Eagle Eye, ambitionne également de lancer une étude de faisabilité quant à la construction d’une usine de transformation de la bauxite en alumine, qui elle-même pourrait être transformée par Alucam.

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Cette réflexion autour d’une structuration de la filière est partagée par l’État camerounais, mais elle se heurte encore à d’importantes carences en infrastructures (route, rail, électricité). Autant de raisons qui poussent Eagle Eye à ne pas s’engager davantage sur sa participation à une privatisation d’Alucam, et à temporiser en amont de l’élection présidentielle d’octobre 2025.

Pourtant, en novembre 2022, Pramod Prusty avait fait un pas plus franc en faveur d’une privatisation. Il visait, en échange du rachat d’Alucam, l’obtention d’un permis d’exploitation de la bauxite, celui-là même qu’il décrochera en 2024. Eagle Eye, dans une lettre d’intention transmise au premier ministre, Joseph Dion Ngute, avait alors soumis une offre de 100 millions de dollars afin d’acquérir 80 % de l’actif camerounais.

Rachat en deux phases
Selon le document consulté par Africa Intelligence, Eagle Eye proposait un rachat en deux phases. D’abord un investissement de 30 millions de dollars “pour la remise en état et les besoins en fonds de roulement d’Alucam, visant à relancer les installations d’Alucam, de Socatral, d’Alubassa et du terminal portuaire”. Une seconde tranche de 70 millions de dollars devait suivre “pour l’extension des capacités de l’Alucam”. Les dettes auraient été entre-temps absorbées par l’État camerounais. Le dernier point de vigilance concernait l’alimentation en électricité, difficile à garantir. Eagle Eye demandait au gouvernement d’engager un contrat de long terme avec l’opérateur Eneo, lui aussi lourdement endetté.

Plus récemment, une autre société a également essayé de se positionner pour entrer au capital du producteur de métal. En août 2024, Alucam et l’État camerounais ont signé un protocole d’investissement ainsi qu’un accord commercial avec Proalu, une filiale du groupe Prometal dirigée par le Franco-Libanais Hayssam Al Jammal. Ce dernier s’est engagé à investir 88 milliards de francs CFA (134 millions d’euros), notamment en vue de construire une usine de production de bobines en aluminium et en acier prélaqué, à Douala.

Un investissement qui permettrait à Alucam d’écouler plus de la moitié de sa production annuelle, estimée à 50 000 tonnes. Par ailleurs, via cet engagement, Hayssam Al Jammal se positionne pour obtenir des parts dans la société Alucam. Raison pour laquelle il est l’un des premiers à proposer un partenariat commercial de cette ampleur à Alucam, vivotant, depuis le retrait de Rio Tinto en 2014.

Derniers exercices en déficit net
Depuis dix ans, les tentatives de sauvetage d’Alucam menées par l’État se sont soldées par des échecs. En 2015, Yaoundé avait lancé un appel aux investisseurs, resté sans réponse. Six ans plus tard, l’État avait de nouveau tenté de redresser le producteur de métal en le fusionnant avec la Société africaine de transit et de logistique (Socatral), en vain.

Alucam a terminé ses deux derniers exercices en déficit net de 7,9 milliards de francs CFA en 2022 (12 millions d’euros) et de 23,6 milliards de francs CFA (36 millions d’euros) en 2023. En cause, la fluctuation des prix de l’aluminium, des coûts de production élevés, notamment en électricité, et des problèmes de gestion. Son directeur général, Alain Malong, espère quitter ses fonctions dans les prochains mois, mais attend l’aval du chef de l’État.

Rustine De Gloire

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