La colonisation et l’esclavage reconnus comme crimes contre l’humanité : entre victoire symbolique et interrogations profondes

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 L’Union africaine (UA) a franchi une étape majeure en adoptant une résolution historique le 16 février 2025. À l’initiative du Togo, cette décision a été entérinée lors de la 38e session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UA. La résolution y relative qualifie explicitement l’esclavage, la déportation et la colonisation de crimes contre l’humanité et de génocides commis à l’encontre des peuples africains.

L’Union Africaine reconnaît enfin l’esclavage et la colonisation comme crimes contre l’humanité. Présentée sous l’égide du président Faure Gnassingbé, cette reconnaissance marque une première dans l’histoire de l’organisation panafricaine.

Un tournant mémoriel attendu… mais tardif

Il aura fallu des siècles de déni, de falsifications historiques et de luttes politiques pour que ce que beaucoup considéraient comme une évidence morale soit enfin reconnu légalement. La colonisation et l’esclavage ne sont plus des faits du passé à relativiser selon les époques ou à maquiller sous le prisme de la “mission civilisatrice” : ils sont désormais qualifiés de crimes contre l’humanité.

Cette reconnaissance suscite un soulagement légitime parmi les peuples historiquement broyés par ces systèmes. Toutefois, elle soulève également des interrogations sur ses motivations politiques et ses implications concrètes.

Entre hypocrisie historique et cynisme contemporain

Pendant longtemps, les puissances coloniales — notamment la France — ont dissimulé la violence de leur domination sous un vernis idéologique, parlant de progrès, de civilisation et de mission éducatrice. Les manuels scolaires évoquaient l’esclavage transatlantique comme une simple “page sombre”, rarement lue, souvent minimisée.

En brisant ce silence, la résolution de l’UA agit comme un miroir tendu aux anciennes puissances coloniales. Elle les oblige à regarder en face un passé longtemps enjolivé, motivé par la cupidité, la domination géopolitique et le racisme institutionnalisé. Il s’agit donc moins d’un simple acte mémoriel que d’un repositionnement moral et politique.

Une avancée symbolique aux effets encore flous

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Mais que signifie réellement cette reconnaissance ? Aura-t-elle des retombées concrètes ? Sera-t-elle suivie de réparations ? D’une refonte des programmes scolaires en Afrique et ailleurs ? D’actes de justice en faveur des descendants de peuples colonisés ou réduits en esclavage ?

L’histoire enseigne que les symboles, aussi puissants soient-ils, ne guérissent pas les plaies à eux seuls. Le risque est grand de voir cette résolution se transformer en un simple outil de communication politique, sans conséquence tangible sur les inégalités structurelles qui découlent encore aujourd’hui de ce passé colonial.

Un instrument diplomatique à manier avec prudence

Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, cette déclaration pourrait également être utilisée comme un levier diplomatique. Certains États africains pourraient s’en servir pour redéfinir leurs relations avec les anciennes puissances coloniales. À l’inverse, cette reconnaissance pourrait alimenter un discours défensif dans les pays occidentaux, où l’extrême droite n’hésitera pas à dénoncer une “culpabilisation éternelle” ou une “attaque contre l’identité nationale”.

Il est donc crucial de rappeler que cette mise en accusation vise un système historique de domination — non les peuples eux-mêmes. C’est la logique coloniale, et non les générations actuelles, qui est ici désignée.

Mémoire, justice et avenir : un défi à relever

Cette décision de l’Union africaine constitue une victoire morale et une avancée mémorielle essentielle. Mais pour qu’elle ait un réel impact, elle doit s’accompagner d’un travail de fond : réforme des récits historiques, politiques de réparation, justice sociale et culturelle.

La mémoire n’est utile que si elle éclaire l’avenir. Et l’héritage colonial continue de peser lourdement sur les rapports Nord-Sud, sur les inégalités économiques, sur les représentations collectives. Le vrai chantier commence maintenant : il s’agit de transformer la reconnaissance symbolique en réparation concrète, et la mémoire en moteur de justice.

Juslie Lebongui

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